Les tableaux sont une partie importante du patrimoine artistique de cette église. En dehors de leur qualité picturale, et des messages qu’ils véhiculent, ils offrent la très grande particularité d’avoir été peints par un prisonnier de guerre Allemand.
L’abbé Gillard qui cherche à renouveler son chemin de croix obtient mai 1945 des autorités de Rennes de prendre à son service Peter Wisdorff et Karl Rezabeck. Peter Wisdorff est menuisier ébéniste. Il réalisera les trois autels, le tabernacle de la chapelle du Saint Sacrement, et les encadrements des tableaux réalisés par son compagnon d’infortune.
Laissons Karl Rezabeck nous décrire sa première rencontre avec le recteur de Tréhorenteuc, et le déroulé de son œuvre au sein de la petite communauté des villageois de Tréhorenteuc :
« En mai 1945, j’allais très mal. Pendant trois jours, nous ne recevions aucune nourriture. Puis les Américains distribuèrent une boite de ration pour deux hommes. Elle contenait de la graisse de porc. J’ai eu la diarrhée, les militaires étaient aussi très pauvres. Ils nous ont tout pris : argent, chaussures, montre, manteau, babioles.
Nous sommes restés des semaines entières sur la terre nue, sous le soleil et la pluie. j’ai creusé un trou de 30 cm et je me suis recouvert avec une toile de tente. J’avais des rhumatismes, j’étais faible et très malade. J’avais un manche à balai pour béquille. Nous recevions 50 gr. de pain par jour et une soupe (de l’eau chaude avec quelques rondelles de carottes en tranches) le dimanche, il y avait un petit bout de tête de poisson qui sentait bien mauvais.
Ma profession de peintre avait été enregistrée par l’administration. Un jour, je fus appelé au bureau. L’abbé Gillard s’y trouvait : il me demanda si je pouvais peindre un « chemin de croix » Étant catholique, sachant ce qu’est un chemin de croix, je dis simplement oui. Étant en général honnête, je demandai si ce n’était pas hasardeux. J’ajoutais qu’il ne me connaissait pas et achetait le chat dans le sac.
Quelque temps plus tard, à la messe du dimanche, dans son sermon en chaire, il déclara qu’il avait acheté un chat dans le sac et qu’il avait fait un bon achat. Alors j’aurais pleuré. C’était un brave homme, je ne l’oublierai jamais.
Mes pieds étaient ensanglantés, il m’a offert des sabots, sa mère m’a tricoté des chaussettes en laine de mouton. Au cloître des clarisses qui était à proximité il a récupéré, auprès des religieuses, des bons de tabac et lorsque je pris congé, je reçus un coffret de bois contenant beurre, chocolat, cigarettes et une montre.
De Rennes, nous allâmes en autocar à Tréhorenteuc. Là-bas je restai malade au lit une semaine. Mais je récupérai bientôt la santé avec quelques médicaments, une bonne nourriture et l’aide de Dieu.
Désormais, commença pour moi une belle période. Au presbytère, nous disposions, en bas, d’une salle de travail et au premier étage d’une chambre à coucher pour chacun. Je me suis mis progressivement au travail. J’ai peint quelques aquarelles, naturellement l’église, puis, le vieux tronc qui est aujourd’hui encore dans la sacristie.
Peu à peu, je commençai le chemin de croix. D’abord le projet ne comportait que le motif à faire à la peinture à l’huile d’après les anciens reliefs noir et blanc qui étaient accrochés dans l’église. Comme Monsieur Gillard avait beaucoup d’imagination, nous tombâmes d’accord pour faire quelque chose de différent,
Mais de mémoire je ne pouvais le faire. Aussi, je pris comme modèle les camarades de guerre et même plus tard les paysans et les enfants du village et finalement Mr Gillard était toujours mon modèle pour le Christ, même en croix.
Il allait de soi que l’arrière-plan était constitué par le paysage de Tréhorenteuc, le château, le presbytère, le Val sans retour.
Mais tout cela était l’idée de M. Gillard. Je ne comprends rien à la mythologie. Il m’avait donné tous les détails, raconté toutes les légendes de Merlin, de la fée Viviane, de Morgane, de la légende du Saint Graal, des romans de la table ronde. J’ai avec lui visité toute la région, fait ici et là les dessins et les tableaux, là où les personnages ont vécu, d’après la légende, par exemple Merlin à la fontaine de Barenton, la fée Morgane au Val sans retour, etc… Tout le reste, M. Gillard l’a décidé, il en est en tout point l’inspirateur spirituel.
Vous demandez combien de tableaux ai- je peints. Je n’en ai pas fait le compte exact, mais environ une centaine. Où sont-ils allés ?
Pour l’autel, j’ai peint un grand portrait avec Ste Onenne, avec une belle fille, des fleurs, des oies et le vieux château de Tréhorenteuc. En outre de nombreux portraits de paysans et d’enfants.
De nombreux hommes sont tombés à la guerre. D’après les petites photographies, j’ai dessiné des portraits souvenirs. Les femmes étaient ravies et ont offert des cadeaux à M. Gillard.
J’ai demandé à M. Gillard d’où il recevait l’argent. Il disait souvent qu’une petite partie provenait de l’évêque de Rennes. Mais les paysans apportaient deux fois la semaine des grands plats de viande, de la saucisse, du pâté de campagne. Et chaque dimanche, l’hôtelière, Mme Harel, apportait un gigot de mouton avec légumes et dessert. Nous ne pouvions pas tout manger.
Un jour après la messe, il y eut sur la place de l’église la fête patronale ; Les Religieuses avaient préparé des petits gâteaux, des pains avec de la viande, de la saucisse, du fromage, du cidre, et des photographies de l’église et du chemin de croix ont été vendus.
C’était la belle vie. Nous fabriquions le cidre et le calvados, et dans le jardin nous avions d’admirables poires et des légumes. Souvent de nombreux prêtres amis venaient en visite. Alors, j’ai fait de la cuisine viennoise, escalopes, tartes, crèmes. Tous étaient enthousiasmés.
Ma femme se réjouit des photographies (Il s’agissait des photographies du chemin de croix)
P.S. En mars 1947, j’ai été relâché de captivité sur recommandation de l’abbé Gillard en raison de mes mérites ».
Karl Rezabeck posant à côté de son tableau des « légendes de Brocéliande ».
Peter Wisdorff (à gauche), le menuisier qui réalisa les trois autels, et les encadrements des tableaux de son amis.
Karl Rezabeck (à droite), devant les nombreux portraits de villageois de Tréhorenteuc qu’il réalisa.
Première station :
En arrière plan un homme tient une coupe verte. Le Graal selon l’iconographie retenue par L’abbé Gillard.
La scène est représentée dans la ville de Jérusalem.
Deuxième station :
C’est le menuisier Peter Wisdorff qui présente sa croix à Jésus.
La scène se situe à Tréhorenteuc, devant le presbytère.
Troisième station:
Jésus tombe pour la première fois. Le personnage vêtu de rouge aux pieds duquel tombe Jésus représente l’orgueil. Dans le fond on peut voir Sainte Onenne enfant garder ses oies, et tenant un bouquet de fleurs.
La scène se passe à Tréhorenteuc à l’entrée de la rue Neuve.
Quatrième station :
Jésus rencontre sa mère, habillée de bleu, couleur de la foi pour l’abbé Gillard. Karl Rezabeck le peintre s’est représenté en soldat romain entre la Vierge et Jésus.
La scène se passe à Tréhorenteuc, devant la façade extérieure du manoir de rue Neuve.
Cinquième station :
On y voit Simon de Cyrène porter la croix du Christ. La position de la croix, ainsi que le tracé du chemin, sont là pour faire penser au croisement du 48e parallèle.
La scène se passe à la frontière du Morbihan et de l’Ille-et-Vilaine, à l’endroit exacte où passe le 48e parallèle.
Neuvième station:
Jésus tombe pour la troisième fois. Cette fois-ci aux pieds de Morgane, représentée de la même façon que dans le tableau des « légendes du Val sans Retour ». Elle représente le troisième péché capital, la luxure. C’est ce tableau qui vaudra « la perte » de l’abbé Gillard.
La scène se passe devant l’affleurement de schiste dentelé, situé en haut du Val sans Retour.
Treizième station:
Après la descente de la croix, Joseph d’Arimathie recueille le sang de Jésus dans le Graal.
La scène se passe près des berges de l’étang du Miroir aux Fées, à l’entrée du val sans Retour.
De nos jours il y a quatre tableaux dans le chœur. A l’époque de l’abbé Gillard, deux d’entre eux, celui de « la légende du Val sans Retour », et celui des « légendes de Brocéliande » se trouvaient dans la sacristie qui servait aussi de bureau à l’abbé, et de lieu d’accueil du public de passage. Comme il l’écrira dans un de ses livrets, le culturel et le cultuel se côtoient et se complètent, mais pour autant sont aussi bien séparés.
Copie d’une enluminure tirée du roman de Brut, datant du XVe siècle, dont l’original est conservé à la Bibliothèque Nationale.
Elle représente l’apparition du Saint Graal aux membres de la Table-Ronde. Tous les sièges sont occupés, nous sommes donc à la fin de la quête, et Galaad occupe le siège périlleux. Il est daté de 1946.
La famille de Sainte Onenne est réunie face au festin du Graal. Sont représentés, en haut le roi Judhaël, ses 22 enfants, dont Sainte Onenne qui se tient en bas de la scène à côté de sa mère Pritelle. 5 des personnages portent des auréoles, car trois de ses frères, et l’une de ses sœurs furent déclarés saints. Dont Saint Judicaël futur roi et fondateur de l’abbaye de Paimpont.
La scène est entourée de deux colonnes, qui comme des phylactères énumèrent les noms de cette fratrie.
L’église de Tréhorenteuc apparait en haut à droite. Il est intéressant de noter que la chapelle de la Vierge, (coté cimetière) est représentée sans oculus. Le tableau en bas à droite est daté de 1946.
Ce tableau des légendes de Brocéliande illustre magnifiquement quatre thèmes différents. en haut, le chevalier Yvain tient en main un « vaissel » d’or avec lequel, répandant l’eau de Barenton sur le perron dit de Merlin, il provoquera une violente tempête, attirant sur lui les foudres du chevalier noir, gardien de la source. Le chevalier au lion devra l’affronter, et l’ayant vaincu épousera sa dame, la belle Laudine que l’on voit en arrière-plan.
A gauche on reconnait « Eon de l’étoile » personnage qui écuma la région et dont le comportement tenait autant du délire mystique que du brigandage. Il est appelé « de l’étoile » car il s’illustra à l’époque du passage de la comète de Halley que l’on voit en haut de la scène.
A droite, la scène représente Viviane enfermant Merlin, représenté sous les traits d’un jeune homme, dans la tour des vents. Ce sortilège toujours actif… se situerait au lieu-dit de nos jours, tombeau de Merlin. Autant dire du vent et une histoire à dormir debout…
Enfin en bas, on voit le chevalier Ponthus combattre en duel, et cela 52 fois, pour conquérir la belle Sydoine.
La forme générale du tableau évoque une coupe. « X » . Les quatre éléments, eau, air, terre, feu y sont représentés. Il est daté de 1947.
Le tableau de la légende du Val sans Retour. Selon cette légende, les amants infidèles étaient retenus prisonniers par un sortilège de la fée Morgane dans le Val sans Retour. Une prison dorée dont les victimes n’avaient plus conscience, tant leurs journées se passaient entre les plaisirs de la table, du jeux, des joutes, de la musique etc… Cette prison était gardée par une haute falaise, les rochers dentelés qui existent réellement et qui sont figurés sur le tableau, ainsi que par un mur de feu, des dragons et un géant… On devine en haut droite le chevalier Galeschin tenter de s’évader.
C’est Lancelot que l’on voit monté sur son cheval et tout d’or vêtu, représenté faisant face à Morgane, qui rompra le charme. Morgane est ici représentée de la même façon que dans le chemin de croix. A gauche on devine l’église de Tréhorenteuc, et cette fois-ci, la chapelle de la Vierge a son oculus. Merlin est figuré endormi non loin de l’église, et à l’entrée du val, comme dans la légende.
